chevaliers blancsLa première scène donne le ton, Joachim Lafosse a cette fois choisi de réaliser un film d’aventures. Exit le sombre huis clos auquel il nous avait habitué avec ses deux derniers films A perdre la raison et Elève libre. Dans Les Chevaliers blancs, le cinéaste belge nous plonge dans le quotidien d’une équipe d’humanitaires fraîchement débarquée d’un avion rempli de matériel à décharger dans l’urgence. Le scénario largement inspiré de l’affaire de l’Arche de Zoé nous place sous l’angle de cette ONG sensée s’occuper d’orphelins tchadiens. En réalité, le président de « Move for kids » Jacques Arnault (Vincent Lindon) prépare avec sa femme et ses complices une opération secrète : l’évacuation de 300 enfants en bas-âge d’un pays dévasté par la guerre car promis à des adoptants français. Comment cet homme sans foi ni loi a-t-il persuadé 3200 Français de financer l’opération ? Peu importe. Le film répond davantage à la question de savoir comment il a menti aux chefs de villages et à tous ses intermédiaires africains pour arriver à ses fins. Mais Joachim Lafosse a réussi le pari de ne pas rejuger cet homme rempli de contradictions.

Jusque dans sa mise en scène solaire, le réalisateur montre son souci de transparence. Avec des scènes remplies de poésie notamment sous les tentes où il opère un magnifique travail de photographie entre ombre et lumière. En filmant le désert vu du ciel, le cinéaste semble comme prendre du recul sur cette affaire où tout n’est ni tout noir ni tout blanc.

 Et qui mieux que Vincent Lindon pouvait incarner ce naïf qui fonce tête baissée, sans nul cas de conscience. L’acteur donne une ampleur considérable à ce personnage auquel on s’attache malgré nous. Un chef en proie aux doutes, non pas sur le fond mais sur la forme. Car seul compte la réussite de sa mission. Et le charisme animal naturel de Lindon renforce la problématique du droit d’ingérence et des abus de pouvoir en temps de guerre. Sa seule présence contraste avec la faiblesse de ces parents africains prêts à laisser leurs enfants dans un « dispensaire » pour les mettre à l’abri des exactions et de la misère.

Face à l’innocence amorale du chef, Louise Bourgoin campe avec poigne le rôle de sa compagne, une louve agressive qui mord quand on s’approche de « ses » petits. Entre ces deux manichéens bercés d’illusions, on en vient presque à se méfier du seul personnage lucide de l’affaire, celui de l’excellent Reda Kateb qui semble jouer un double jeu.

Seule la journaliste Françoise, très justement interprétée par Valérie Donzelli, devient juge et partie. Un peu comme le spectateur se sent parfois ballotté entre condamnation sans appel et compassion naïve pour ces chevaliers blancs inconscients.

Notamment lors de cette scène clé dans laquelle Jacques appelle fièrement un père adoptant pour lui « attribuer » un enfant de 5 ans. La caméra de Lafosse balaye un à un les visages enfantins des membres de l’ONG, sur lesquels on peut lire une vive émotion. Celle d’apporter enfin du bonheur aux familles françaises. On bascule alors, presque malgré soi, dans le camp de ces néocolonialistes convaincus du bien fondé de leur démarche.

« Même si on n’en sauve qu’un, ça vaut la peine ? » A travers ce scandale d’Etat, Joachim Lafosse surfe si bien sur la frontière explosive entre bien et mal qu’on en vient à douter de nous. Jamais de lui.