12 years a slaveSteve McQueen, c’est le cinéma comme imposture chic. 12 Years a Slave chasse sur les terres du Django de Tarantino et voudrait remuer le fer dans la plaie mal cicatrisée de la conscience américaine : l’esclavage. Mais, paradoxalement, là où le spécialiste de la vivisection geek des séries B réalisait un portrait cru et complexe de l’exploitation de l’homme par l’homme, la coqueluche de la provoc arty et ripolinée nous force à une complicité passive avec les bourreaux. Adaptation d’un Slave Narrative, ces témoignages de première main sur le processus d’humiliation et de marchandisation des Noirs américains, 12 Years a Slave en renverse cyniquement l’esprit. L’histoire de Solomon, ce Noir du Nord brutalement kidnappé, revendu au Sud et tombant, entre autres, sous la coupe de Epps (Fassbender, l’acteur chouchou de McQueen), n’est pas, malgré les effusions de pathos et les résonances gospel de la bande-son, une pièce à verser au procès d’un système inique. C’est une façon de titiller, à la Ulrich Seidl, la salle dans le sens d’une jouissance malsaine. De spectateurs nous devenons, entre les mains de Steve McQueen, des voyeurs criminels. Le réalisateur de Shame, roublard dissimulé derrière ses images léchées, joue ainsi sur la profondeur de champ, la peuple d’autres personnages alors que le premier plan est occupé par une scène insoutenable (Solomon, suspendu à une corde et cherchant à garder péniblement l’équilibre). Résultat : le regard distrait fuit vers le fond, s’éloignant du spectacle de la souffrance, ajoutant l’injure (assister à l’humiliation physique d’un homme) à l’insulte (ne même pas lui accorder d’attention digne de ce nom). Mais il y a surtout la stylisation permanente du récit, les jeux d’échos d’une scène à l’autre, l’étirement du temps, les cadrages « naturels » (la charpente d’une bâtisse que monte Solomon) redoublant ceux de la caméra… Autant de façons de mettre en avant l’artifice, la maîtrise de la mise en scène, de nous inviter à une jouissance d’esthète. Sur le dos des esclaves, exploités pour notre plaisir de spectateurs.