Oyez, oyez, bonnes gens : l’innommable Polanski est l’incarnation, définitivement abominable (un violeur en série, on vous dit) du Pouvoir Patriarcal. Distinguer le réalisateur de J’accuse en est la preuve absolue. D’ailleurs ce film n’est pas, comme un public décidément stupide pourrait le croire, un film sur l’antisémitisme. Pas du tout. C’est un film sur la pédophilie des années 1970, voyons ! (Foresti, brillante). Une ode aux Puissants = au patriarcat, puisque Picquart (il « sauve » l’armée, donc tout cela) en est le personnage central (une philosophe féministe, sur France Culture).

D’ailleurs, poursuit-elle, il y a Tess aussi: suspect. Car Tess, la victime, finit pendue : heureux triomphe de l’Ordre Hétéronormé que viola la violée, non ? Comprendre : un film féministe, Tess ? Vous n’y êtes pas ! Et le male gaze, vous l’oubliez ? Polanski réalise ce film deux ans après avoir abusé d’une jeune-fille mineure. Alors, ne doit-on pas se poser des questions ? Sous-texte : ne jouirait-il pas (Éros, Platon, l’oeuvre- et-l’homme, tout ça) perversement du châtiment de la violée ?

Donc, tous avec Adèle Haenel, on reprend bien fort : « distinguer Polanski, c’est cracher au visage de toutes les victimes ». Un même message, décliné sur tous les tons: universitaire, officiel (deux ministres, une porte-parole du gouvernement, excusez du peu !), militant, philosophique, historique, sérieux, humoristique, journalistique, imprécateur, compassionnel, obscur, révolutionnaire (« il faut que des têtes tombent », sic), choisissez, c’est la même came de toute façon, de la bonne.

Bien.

Se réjouir que tant de beaux esprits soient là pour nous guider ?

« Vous, apprenez à voir plutôt qu’à rester les yeux ronds ».

Ces mots de Brecht concluent La résistible ascension d’Arturo Ui.

L’inconvénient de cette fureur en unisson, canon, thème et variations, c’est que le son monte si haut, envahit tant « l’espace de cerveau disponible », qu’il assourdit, aveugle, hébète.

Alors les yeux ronds, les oreilles bouchées, l’esprit corrompu, on voit sans voir, on entend sans entendre.

Dedans : une humoriste. Mais pas du côté des puissants, hein ? Ça non ! À peine, selon elle, plus d’un smic, (annuel) le cachet d’un soir, une misère. La comique : « Atchoum » ceci, « Atchoum » cela. Et tous de s’écrouler de rire. De s’écrouler, oui…

Dehors : « Celui qui doit être gazé, c’est Polanski ». Ben oui quoi, les militantes ont reçu des gaz (vous suivez ?) lacrymogènes. Et une chaîne retransmet sur les réseaux sociaux l’innocent cri de rage de ces victimes du Patriarcat (policier, violeur, etc), donc de Polanski, forcément. Female gaz… Ce n’est rien. Enfin presque. C’est que bon, dans le feu de l’action, les journalistes n’ont pas réalisé, vous comprenez. Et puis on l’a bien vite fait disparaître, ce vilain slogan, y’a pas d’mal.

Vraiment ?

« Atchoum », donc. Un des sept nains-vieillards pédocriminels (c’est bien ça, n’est-ce pas) de Blanche-Neige – dont nul n’ignore qu’il existe une version porno. Un « nain » (c’est dit, il ne peut « faire de l’ombre au cinéma français »), privé de son nom d’homme et d’auteur, qui ne résonnera que raccourci (« Roro », « Popol »).

Et pourquoi celui-là, parmi les sept petits monstres ? Vous êtes-vous posé la question ? Rappelez-vous. Atchoum est celui qui éternue tout le temps, sans pouvoir se retenir. Son nez (tiens donc) éjacule non-stop, ses éternuements détruisent tout sur leur passage. Alors garez-vous dès qu’il apparaît.

Faut-il vous faire un dessin ? Il ressemblerait aux caricatures du Stürmer ou de Je suis partout.

Réduit à cette figure grotesque de cartoon, déshumanisé dans ce rituel d’humiliation, le juif Polanski doit être anéanti.

D’ailleurs les activistes du collectif « les colleuses » le signifient on ne peut plus clairement.

On reprend.

Dispersées par des gaz lacrymogènes : « gazées » comme on dit depuis les gilets jaunes, qui popularisèrent cette trouvaille de Christine Boutin en 2013 (« ce gouvernement, qui gaze des familles, des enfants »). D’où : « celui qui devrait être gazé, c’est Polanski » (responsable de leur « gazage »). Mais cette fois, par le plus pervers des glissements, « gazé » visant Polanski, l’enfant rescapé de la Shoah, ne peut qu’être pris au sens du Zyklon B. C’est sans ambiguïté, et nous saute au visage.

Prenons garde.

Quand de tels mots peuvent être proférés, relayés comme si de rien n’était, le pire redevient possible. Cela nous concerne tous, hommes, femmes, enfants.

Réveillons-nous.

Le juste combat des femmes, de nous tous contre le fascisme, contre le sexisme, passe par notre vigilance.

Alors sur le courage des femmes, lisons 19 femmes (Samar Yazbek, Stock) : des Syriennes, qui témoignent.