Excellent essai signé Murielle Joudet, Ce que les actrices font à la vieillesse, qui éclaire d’un jour nouveau les actrices face à leur miroir et au temps qui passe. Brillant. 

Murielle Joudet s’interroge puissamment sur la vieillesse des actrices, c’est-à-dire celle des femmes. Cette ligne directrice ne fonctionne pas toute seule, mais toujours en miroir d’une autre, non moins éloquente : la vieillesse des hommes. Acteurs ou pas, ils auraient cette longueur d’avance s’apparentant à une forme de jeunesse très, très prolongée dans les âges les plus mûrs, où cheveux blancs et rides augmenteraient leur séduction d’autant. Ils posséderaient également ce droit de regard où une femme est une femme, ou ne l’est plus. On aimerait dire que c’est un peu plus compliqué que ça, mais en fait, c’est si souvent le cas qu’il serait vain de le relativiser. Alors, autant jouer avec jusqu’à la cruauté nous démontre Joudet. Nicole Kidman, Thelma Ritter, Brigitte Bardot, Meryl Streep, Mae West, Frances McDormand, Isabelle Huppert, Bette Davis : huit artistes, et à travers elles, beaucoup d’autres – par exemple Gloria Swanson – sont donc convoquées dans un scénario implacable de destruction progressive de la belle jeune mariée hollywoodienne par un devoir de jouvence vite épuisée. Une musique s’installe, liée au style de Joudet, un affouillement de l’analyse de film débouchant sur une ironie lancinante sur nos conditions respectives de femmes et d’hommes. Car ce texte parle des deux sexes en se focalisant sur un seul. Plus exactement, l’analyse de film quitte ici certaines lourdeurs conceptuelles liées au genre, pour déboucher sur une recherche réellement intellectuelle où l’art, la société, l’existence se répondent mutuellement. Ce livre est en fait un dispositif où tout se reflète, provoquant le vertige. On pourrait parodier Gertrud Stein et sa rose, qui est une rose, qui est une rose, en affirmant que Joudet nous prouve par le cinéma qu’être une femme, c’est être une femme qui est une femme, qui est une femme, indéfiniment. Les actrices poussent à bout et subliment ce processus théâtral ordinaire, où la vêture, le maquillage et l’attitude les mettent sur le devant d’une scène parfois capitale et tragique. Tout le monde se maquille au cinéma, mais les femmes se maquillent sur quelqu’un de déjà maquillé. Bette Davis est une figure canonique pour Joudet, à cause de sa capacité à incarner la vieille, même lorsqu’elle était très jeune – Meryl Streep aurait trouvé sa vocation de façon similaire à huit ans, dessinant les rides de sa mère sur son propre visage -, et donc à multiplier les mises en abyme. Artiste des apparences qu’elle juxtapose en grand maître de la peinture du temps, Davis aura illustré toute la gamme des impressions possibles sur le sujet : rage, ludisme, souffrance, constat froid, parodie, folie… La seconde femme se lie également comme une histoire d’Hollywood où, comme le rappelait Naomi Watts encore récemment, on te précise qu’au-delà de quarante ans, « tout est fini parce que tu deviens imbaisable ». D’une certaine manière, tout Hollywood tourne autour de l’acte physique avec les femmes. Comment les rendre indéfiniment baisables pendant l’heure et demie, ou les deux heures, ou plus rarement les trois heures d’un film ? Et c’est sans doute pour ça que la pornographie californienne est la part la plus honnête de cet art. Là où les MILF traduisent brutalement l’attraction universelle des jeunes mecs pour les femmes de plus de quarante ans, Gloria Swanson joue littéralement le rôle d’une vieille peau dans Sunset Boulevard. Le contraste entre la beauté réelle de la femme Swanson et le personnage de Norma Desmond, dont le jeu accentue la prétendue imbaisabilité – son jeune gigolo ne cesse de vanter la douceur épidermique de la scénariste vingtenaire qu’il convoite –, révèle Hollywood mieux qu’une enquête du New York Times sur les infamies de l’industrie du rêve. Et de la même manière, La seconde femme éclaire la quête passionnée des jeux, des stratégies élaborées par les actrices pour s’emparer, transformer, élargir, exalter les clichés que leur proposent les studios.

La seconde femmeCe que les actrices font à la vieillesse. Murielle Joudet, Premier parallèle, 221p., 20 €